Exempla trahunt – les exemples attirent l’attention. Le livre du père Jan Wehinger, missionnaire en Birmanie, intitulé Trois ans parmi les lépreux, a éveillé chez le père Beyzym un appel au travail missionnaire et caritatif parmi les lépreux.
En octobre 1897, il a demandé la permission au père provincial Jan Badeni SJ d'aller soigner les lépreux. Il était prêt à partir pour n'importe quelle région missionnaire, mais de préférence celle où l'on parlait français. L'année suivante, il a réitéré sa demande, « parce que tant de milliers de lépreux souffrent et meurent sans aide autant spirituel que matériel. Peut-être que le bon Dieu à travers moi daignera aider un peu et soulager ces pauvres gens. Quelque chose me pressait pour ce travail ».
Sa demande a été envoyée à Rome, au Superieur général. Le père Beyzym y a demandé au père Général Louis Martin, SJ, d'être envoyé exclusivement pour les lépreux, « pour être jour et nuit à leur service. »
Le Père Général a accepté sa demande. Au début, Beyzym devait travailler à Mangalore en Inde, mais il n'y a pas été accepté parce qu'il ne connaissait pas l'anglais. Il semblait aussi trop vieux pour ce travail parce qu'il avait déjà quarante-huit ans. À la demande du père Badeni, le père Rudolf de Scoraille SJ, supérieur de la province de Toulouse, a accepté le père Beyzym pour travailler à Madagascar.
Avec l’impulsion divine
Le père Beyzym était convaincu que sa vocation de travailler pour des lépreux était inspirée par Dieu. « Sous la protection de la Vierge Marie, il voulait passer le reste de sa vie dans ce travail pour une plus grande gloire de Dieu. » Il voulait être complètement « serviteur des lépreux » et à partir de 1901, il signa toujours ses lettres : « jour et nuit, je suis malade », comme il l’écrivait déjà de Marana (Ambatovory) au père Marcin Czermiński SJ. Il a vécu pour eux et avec eux pendant quatorze ans. Il n'appartenait plus à lui-même, mais aux lépreux, qu’il venait servir.
Voyant à Ambahivoraka le délaissement des lépreux, leur pauvreté spirituelle et physique, il a résolument décidé de construire un abri pour eux, ou plutôt un hôpital. Il a le tout confié entre les mains de la Mère de Dieu.
Dès son arrivée à Madagascar, le père Beyzym sentait la solidarité avec les lépreux. Il ne disait pas « moi et eux », mais « nous ». Quand, assez tôt, le souci des condamnés de Sakhaline s’est éveillée en lui, sa solidarité avec ces misérables concernait déjà des lépreux. Par conséquent, désirant encore plus s'unir à eux dans leur misère, il demandait souvent à la Vierge Marie de devenir lépreux comme une grâce - en réparation pour les péchés, pour améliorer le sort des lépreux et comme un sacrifice de lui-même pour les frères souffrants.
Lorsque, en 1909, le père Victor Herrengt, SJ a visité Mission de Jésuites à Madagascar, il n'a pas manqué d'inspecter, par deux fois, l'abri pour les lépreux ainsi que le nouvel hôpital en construction à Marana (Ambatovory). Il était plein d'admiration pour le travail dévoué du père Beyzym, et son amour désintéressé et miséricordieux pour les malades. Il a exprimé cela à la fois officiellement dans un rapport au père Général Francis Wernz, SJ, ainsi que dans des déclarations privées. Il a souligné clairement le but poursuivi par le père Beyzym : le traitement et le soin des malades, et leur défense contre l'immoralité, à laquelle ils succombaient souvent dans les « colonies de lépreux ».
Le père Herrengt a également parlé sans ambages des difficultés et des souffrances du Père Beyzym. Père Laurent Tomniczak, SJ, qui a étudié à Enghien sous l'autorité du père Herrengta, a exprimé son appréciation et son admiration pour le dévouement du Père Beyzym pour les lépreux.
Le père Beyzym lui-même, se rendait compte très clairement que le travail pour les lépreux et parmi eux est si difficile qu'il faut une vocation spécifique et une grâce spéciale, comme nous dirions aujourd'hui - du charisme. Par conséquent, il n’encourageait personne pour ce travail, au contraire, il calmait chaque ardeur hâtive.
Aimer en actions et avec vérité
Le père Beyzym aimait les lépreux, les respectait et prenait leur défense parce qu'il voyait en eux Jésus-Christ souffrant. Il discréditait l'opinion non fondée que la lèpre ne soit pas douloureuse. Il voulait les aimer et il attendait la même chose de leur part - opera et veritate, et non pas verbo et lingua – « en actes et en vérité » et non pas « de mots et de langue » seulement*. Dans ses lettres, il les appelait affectueusement « oisillons noirs » ou « ses oiseaux noirs ». Il voulait aussi vivre longtemps pour la gloire de Dieu et travailler pour le bien de ses oisillons : « je n'abandonnerais pas pour rien mes oisillons » ; « je préfèrerais mourir plutôt que laisser ces pauvres gens ».
Les lépreux pour leur part étaient envers le père Beyzym sincèrement reconnaissants pour son attention pendant leur maladie. Quand il devait quitter Ambahivoraka et aller à Marana pour la construction de l’hôpital, leur amour pour lui, cordial et sincère, se manifestait pleinement, jusqu'aux larmes. En se disant « au revoir », il pleurait parmi ses « oisillons noirs » inondé de larmes. « Je pleurais comme un enfant » [il avouera plus tard]. Il est significatif que, même dans des lettres confidentielles au père Czerminski, le père Beyzym ne s’est jamais plaint des lépreux, il ne les a jamais accusés. Il était très heureux du fait que, grâce à ses efforts et la charité de ses compatriotes polonais qui leur envoyaient des aumônes, ses "oisillons noirs" ne meurent plus de faim.
Le souci du père Beyzym pour les lépreux concernait non seulement leurs corps, mais surtout leurs âmes. Il a déploré le fait qu'il ne savait pas encore parler suffisamment bien malgache pour écouter leurs confessions et pour les catéchiser. Il a demandé à la Vierge Marie son aide dans la maîtrise de cette langue.
Au début, quand la faim dominait dans l'abri et les malades mouraient plus d'inanition que de la lèpre, le père Beyzym partageait avec eux sa maigre portion de nourriture. En leur offrant son pain, il pleurait furtivement sur leur misère. De toutes les façons, il tentait de soulager leur souffrance. Il a fabriqué des prothèses primitives mais utiles afin qu'ils puissent manger et même un peu travailler. Il leur bandait les plaies douloureuses, dégoûtantes et malodorantes, sans crainte de la contagion. Il a ainsi suscité leur admiration et gagné leur confiance. Il ne détestait pas leurs blessures, il aurait au contraire voulu les porter sur lui-même, si par cela, il avait pu un peu les soulager. En les voyant travailler, les mains mutilées et avec beaucoup de difficultés. Il écrivait dans ses lettres que « pour leur épargner de la souffrance, il aurait tout accompli à leur place ».
Dès le début de son travail pour les lépreux, c'est de l'amour sincère, paternel et fraternel qui a grandi en lui pour eux. Il voulait les aimer en actes et en vérité et non pas par de belles paroles. Les lépreux lui sont devenus chers et proches. Lorsque, en 1904, ses vieux « oisillons noirs » d'Ambahivoraka venaient en groupes à Marana, le père Beyzym se ne possédait pas de joie, il les a salués « comme des parents » et après cela, il a remercié la Vierge Marie pour leur bon retour chez eux.
* voir 1 J 3,18: Non diligamus verbo, nec lingua, sed opere et veritate -N'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité.
Compassion, sollicitude et dévouement.
La compassion pour la misère et la solitude des lépreux était pour le père Beyzym, l’impulsion de ses efforts pour leur construire un hôpital. C'est là qu'ils pourront non seulement trouver une véritable maison, mais aussi qu’ils seront soignés et protégés de la corruption morale qui s’imposait souvent dans des abris gouvernementaux.
Le souci du père Beyzym pour les malades contenait quelque chose de paternel et en même temps de maternel. Il a avoué une fois au père Czermiński que pendant un violent orage après une journée de travail, il pouvait tranquillement trouver le sommeil. Mais lorsque les patients apeurés et en recherche de son secours ont frappé à sa porte, il les a entendus et s'est levé immédiatement pour être à leur service. Dans sa vigilance paternelle pour la discipline, il n'a jamais eu recours à des châtiments corporels. Il aurait préféré recevoir lui-même à leur place même une centaine de bâtons.
Le père Augustin Niobuy SJ, qui a regardé de près les travaux du père Beyzym pour les malades, a avoué déjà après sa mort que « son dévouement pour les lépreux était sans précédent. » Dans sa pauvreté, il partageait tout avec les malades, se souvenant des paroles de Jésus : « Ce que vous avez fait à l'un de ses plus petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ». De même le témoignage du père Léon Derville sur l'amour du père Beyzym pour des malades est identique. Son amour pour eux était comme l'amour paternel, parce qu'il ne les laissait pas faire ce qu'ils auraient voulu. Il les avait éduqués, puni si c'était nécessaire, tantôt doucement, tantôt plus fort, selon les circonstances. Il cherchait à être constamment avec eux, comme il disait : « Je ne les perds jamais de vue ».
Il sentait une grande responsabilité devant Dieu, devant la Compagnie de Jésus et aussi devant les bienfaiteurs de sa mission parmi les lépreux, dont la construction de l'hôpital. Il a donc rejeté toute tentation de « provisoire » qui lui est suggéré, voire imposé, par Mgr Jean-Baptiste Cazet ou par le supérieur de la mission, le père Louis Verley. Le père Beyzym était calme dans la conscience d'un homme qui remplit fidèlement ses devoirs. Il était implacable, parce qu'il était fidèle, bien qu'on l'ait accusé d'être obstiné et désobéissant.
D'autre part, certains pères de la mission en Betsileo lui reprochaient la soumission excessive et la mollesse dans son comportement et ils lui ont conseillé de réagir plus fermement, plus vigoureusement, bien sûr, salva oboedientia et reverentia - c'est-à-dire avec fidélité à l'obéissance et le respect aux supérieurs. Comment accorder la fidélité à la mission reçue et à la vertu d'obéissance, lorsque les commandements ne sont pas conformes à la mission ? Le père Beyzym cherchait la consolation et la solution de ce problème morale auprès de la Vierge Marie. C'est à Elle qu'il devait sa vocation et aussi la protection. En dépit de toutes les difficultés, même de la part de ses supérieurs, Elle pouvait l'utiliser comme son instrument pour la construction d'un hôpital et pour le soin de malades...
Il était honnête et tolérant dans sa préoccupation pour les lépreux. Deux choses seulement devraient, selon le père Beyzym, décider de l'admission à l'hôpital nouvellement construit : premièrement, est-ce que le candidat (la candidate) était vraiment malade de la lèpre et deuxièmement est-ce qu'il y a de la place pour lui (elle) dans l'hôpital. Aucune autre choses ne jouaient de rôle.
Un malade est comme la prunelle de l’œil
Le père Beyzym était particulièrement soucieux que les aumônes venant principalement de Pologne ne soient pas destinées à d'autres fins missionnaires que pour la construction de l'hôpital, parce que telle était la volonté des bienfaiteurs. Il a avoué à la mère Stanislawa, Ursuline, qu'il s'inspirait toujours de la devise : « un malade est comme la prunelle de l’œil ». Donc, son souci et ses préoccupations pour les malades se réalisaient dans les détails très réels et pratiques. Ces « grands enfants » lézardent et n'ont rien à faire : ils pêchent par oisiveté et paresse. Le père Beyzym a demandé au père Martin Czerminski, au père Stanislaw Hankiewicz et aussi à d'autres de lui faire parvenir de choses intéressantes pour les lépreux : des albums, des dessins, des gravures, des illustrations diverses. Il voulait occuper les malades avec choses intéressantes et belles avec pour but d’écartes en eux les mauvaises pensées et les caprices. Il a également demandé au père Hankiewicz de lui procurer un orgue de Barbarie et une boîte à musique pour la joie des malades. Il l’en a remercié ensuite. Il demandait aussi des images nécessaires à la catéchèse, par exemple: la naissance du Seigneur Jésus, le Seigneur Jésus dans la tombe, la Résurrection, l'image de l'enfer et de la mort du pécheur impénitent.
Il organisait chaque semaine pour ses « oisillons » une leçon de catéchisme afin qu’ils progressent dans la religion et la morale. Quand il préparait les malades pour la confession, pour leur donner l'exemple, il se confessait seul en face d'eux. Aux religieuses qui travaillaient depuis la mi-1911 avec lui dans la léproserie, il donnait une leçon de catéchisme chaque semaine, une exhortation chaque mois et une fois par an une retraite de huit jours. Dans la Semaine Sainte, le père Beyzym donnait aussi une retraite aux malades pendant trois jours, dans l'esprit des exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola.
L’hôpital à Marana
Le père Beyzym avait beaucoup de soucis à cause du ralentissement de la construction de l'hôpital à Marana. Parfois, cela le conduisait aux limites du désespoir jusqu'au point qu'il voulait quitter Madagascar, en ayant rendu l'aumône aux donateurs pour rentrer à son pays, ou bien pour aller vers les condamnés à Sakhaline. Il n'aurait pas là-bas tant de difficultés de la part de gens hostiles. Il était conscient, toutefois, que, avec l'aide de Marie, il devait persévérer jusqu'à la fin et accepter chaque difficulté comme de « petites croix du Seigneur Jésus ». La chose clé pour le père Beyzym sur la question sur l'hôpital était une séparation des patients d'après le sexe. Il voyait cela comme une nécessité absolue, à la fois pour des raisons de santé, d'hygiène, de sorte que la lèpre ne se propage pas, d'autant plus que les jeunes enfants n’étaient pas infectés, ainsi que pour des raisons morales, pour que la débauche ne se propage pas parmi les malades. Monseigneur Caset et la plupart des missionnaires ne croyaient pas que cette tentative audacieuse du père Beyzym allait réussir. Quelques-uns, surtout des médecins: le père Charles Décès, le père Joseph Loiselet et le docteur Beigneux et aussi le visiteur, le père Herrengt ont soutenu l'idée du père Beyzym. Le père Beyzym lui-même avait toute confiance en la Mère de Dieu et dans la puissance de la prière et des saints Sacrements.
En défendant sa position sur cette question, le père Beyzym a écrit un court mémoire, dans lequel il a donné des arguments importants pour et contre la séparation (en utilisant ici la méthode de discernement des exercices spirituels de saint Ignace de Loyola). Il s'appuyait également sur l'expérience et sur son observation. Il fut par la suite très heureux lorsque, après près de dix ans, le 16 août 1911, il a réussi à faire entrer « ses oisillons noirs » dans le nouvel hôpital. C'était le seul véritable hôpital de ce genre sur l'Île Rouge. Père Beyzym avait confiance à Marie et il était convaincu que cet hôpital servirait la plus grande gloire de Dieu et le bien des malades. Grâce aussi à la Vierge Marie, le problème difficile de la séparation des sexes a été résolu avec succès.
Cet hôpital a été créé comme une œuvre de confiance en Dieu, en la Vierge Marie et en la charité de personnes généreuses. Le père Beyzym a osé quémander. Il se nommait mendiant de Jésus, parce qu'il a mendié en effet pour Seigneur Jésus pauvre et souffrant dans les lépreux. Parmi les personnes qui l'aidaient fidèlement de la prière et de l'aumône, il y avait les deux sœurs Ledochowski - Thérèse et Ursula. Aujourd'hui toutes les deux sont bienheureuses. Le père Beyzym leur en était sincèrement reconnaissant et avec lui les lépreux.
De l'amour du père Beyzym pour les lépreux témoigne du fait qu'il avait de vrais amis parmi eux : Michael Rabary et sa femme Dionise, Joseph Rainilaivao, qui grâce à l'intercession de Notre-Dame de Czestochowa a recouvré miraculeusement la vue, Raphaël, Paul et d'autres.
Nous connaissons la relation du père Beyzym aux lépreux par ses lettres et des témoignages de personnes qui l'ont vu et qui ont évalué son travail pour les malades qui lui étaient confiés. Parmi ces témoignages, on peut mentionner par exemple : le témoignage du père Victor Herrengt, du père Augustin Niobey, du père Leon Derville, du père Charles Décès, du père Joseph Loiselet et de la sœur Anne Marie de la Visitation. Cette relation du père Beyzym aux lépreux, dont beaucoup rendent témoignage, a prouvé au-delà de tout doute son amour venant de sa foi vivante, l'amour attentif, opera et veritate, qui est le fruit de son amour pour Jésus, qui vit dans ses membres souffrants. Les quatorze ans de travail du père Beyzym, de ce « service » pour des lépreux de la part de leur « serviteur » sont la preuve irréfutable de la générosité et de la vertu, de l'humilité et de l'abnégation de soi-même au-delà des médiocrités de la mesure humaine.
P. Mieczysław Bednarz SJ